Ecrit par le Colonel Michel HALON

 

Le Général BRIALMONT et l’origine des forts de la Meuse

 

Le camp retranché d’Anvers

          En 1855, Henri-Alexis BRIALMONT, jeune capitaine du Génie militaire belge, fut chargé de se rendre en Allemagne pour y étudier les fortifications du tracé polygonal, en remplacement de tracés avec bastions. Au retour, il fut chargé par le Ministre de la Guerre d’arrêter les plans-types des forts de la nouvelle enceinte d’Anvers. A ce moment, l’artillerie ne disposait encore que de canons avec une âme lisse. Les expériences avec des canons rayés n’auront lieu qu’en 1860, en Allemagne et en France.

         Innovateur hardi, le Capitaine BRIALMONT n’hésite pas, dès 1863, à mettre en œuvre les cuirassements métalliques dans les fortifications d’Anvers. C’est la Belgique qui la première, incorpore le cuirassement et la coupole dans la fortification.

          Le camp retranché d’Anvers mit le nom et le talent de BRIALMONT en lumière partout en Europe et dans le monde.

 

Les forts de la Meuse

          En 1882, ce sera à nouveau BRIALMONT qui va prédire que si, après 1870, une nouvelle guerre devait se déclencher entre l’Allemagne et la France, le territoire de la Belgique serait violé, à moins que notre pays n’augmente de beaucoup ses moyens de défense.

          L’annexion de la Lorraine à l’Allemagne avait accru l’importance stratégique de la ligne de la Meuse.

          Si, par exemple, l’Allemagne devait attaquer la France, elle aurait un intérêt immense à passer la Meuse à Liége ou à Namur, dans le but d’envahir la France par le Nord.

          Le projet belge initial n’envisageait la construction à Liége et à Namur que de quatre forts, de trois fortins à coupoles et de quatre redoutes permanentes.

          Comme ouvrage défensif, la ville de Namur ne possédait plus que la citadelle. Quant à Liége, on y trouvait également une citadelle ainsi que l’ancien fort de la Chartreuse.

          Notons cependant que ce premier projet initial sera singulièrement élargi par BRIALMONT. La tâche semblera surtout malaisée à Liége, ville industrielle au centre d’une région très peuplée. De plus, la rive droite à l’Est du fleuve, domine la rive gauche, donnant ainsi un avantage marqué à l’agresseur qui viendrait de l’Est.

          Quant à la fortification de Namur, elle pose également de délicats problèmes à cause du confluent de la Meuse et de la Sambre, et du fait que la ville se trouve également dans une cuvette.

          Une fois que les projets seront déposés, il faudra vaincre des oppositions, surtout que les deux villes mosanes elles-mêmes boudent ces planifications.

          Le but des fortifications de la Meuse n’était pas destiné, comme l’étaient les camps retranchés, à se suffire à elles-mêmes pendant toute la durée d’un long siège. Elles devaient servir à entraver la marche des colonnes de l’ennemi et à retarder le plus   possible l’organisation de ses étapes.

          Dans la conception de leur bâtisseur, Liége et Namur devaient être surtout utiles comme « points d’appui » et « pivots de manoeuvre ».

          Contrairement au camp retranché d’Anvers, les deux places de la Meuse seraient des têtes de pont doubles, afin que l’Armée belge ou l’armée qui viendrait à notre secours puisse opérer sur les deux rives.

 

Les forts de la Meuse : budget et adjudication

 

La décision gouvernementale

          Le 1 février 1887, le Lieutenant-Général BRIALMONT, devenu Inspecteur Général des Fortifications et du Corps du Génie, transmet au Ministre de la Guerre les plans-type du fort qu’il propose d’adopter pour les têtes de pont de Liége et de Namur.

          Voici la description des défenses que BRIALMONT propose au Gouvernement: « Les forts eux-mêmes sont fort simples: un massif central en béton, protégeant le bureau de tir, -centre nerveux du fort- ainsi que des magasins et des coupoles pour canons de 15 et de 12 et des obusiers de 21. Autour de ce massif, un triangle, également en béton, couvrant des galeries dans lesquelles les fantassins attendent l’assaut à l’abri du canon, est surmonté d’un rempart d’où les défenseurs, à coups de canons, révolvers, mitrailleuses et fusils, faucheront l’assaillant cloué sur place par les barbelés ceinturant l’ouvrage. Aux angles du rempart triangulaire, des coupoles à éclipse joignent leur feu à celui des fantassins pour la défense rapprochée. Si d’aventure, le bombardement de l’ennemi a eu raison des barbelés, l’assaillant, descendu dans le fossé, y sera pris de flanc par le canon de canonnières ou caves à canons. Enfin, le personnel d’observation, répandu dans les clochers du voisinage, sur les points dominants, près des carrefours, suit, téléphone à la main, la marche de l’adversaire, afin de déclencher au moment propice le tir du fort. »

          Ce système défensif résiste aux pièces de 220 utilisées par les armées allemandes et françaises à cette époque.

          Le 1 juin 1887, après des débats difficiles et houleux, le Parlement belge approuve le concept défensif et vote les crédits nécessaires à la réalisation des travaux de génie civil, soit 24 millions de francs-or. En fait, ce montant sera rapidement revu à la hausse; compte tenu des coûts de l’artillerie (pièces et coupoles), il s’établira à 54 millions de francs-or le 10 avril 1888. A la fin des travaux, près de quatre ans plus tard, le décompte final plafonnera à 71,6 millions, à cause du surcoût important des travaux de génie civil et de l’achat de 21 phares blindés, non prévus initialement.

 

Mise en adjudication des travaux

          Le 1 mars 1888, BRIALMONT transmet les pièces nécessaires à la mise en adjudication au Ministre de la Guerre par note manuscrite. Cette note contient essentiellement les devis, le cahier des charges et les bordereaux de prix.

          Appel est alors fait aux soumissionnaires belges et étrangers. L’ouverture des offres a lieu le 8 mai 1888 à Liége, au siège de la quatrième Direction des Fortifications.

          Dans l’entre temps, l’implantation exacte des différents ouvrages est définie et les terrains nécessaires sont acquis par actes de vente passés devant les Gouverneurs de province intéressés et transmis à la Conservation des hypothèques.

          Le 1 juillet 1888, l’entreprise est adjugée aux entrepreneurs français associés MM Adrien HALLIER, LETELLIER Frères et Jules BARATOUX du Havre. Cette firme installe immédiatement son quartier-général à Liége. Dès le 12 juillet, les premières instructions de service sont diffusées et le premier « coup de pelle » est donné le 28 juillet suivant.

 

La construction des forts de la Meuse

 

Ampleur des travaux

          L’objet de l’entreprise, aux termes du cahier des charges, consistait dans la construction de 12 forts défendant la vallée de la Meuse autour de Liége, à savoir les forts de PONTISSE, LIERS, LANTIN, LONCIN, HOLLOGNE et FLEMALLE, situés sur la rive gauche du fleuve; et ceux de BARCHON, EVEGNEE, FLERON, CHAUDFONTAINE, EMBOURG et BONCELLES, situés sur la rive droite; et de 9 forts défendant les vallées de la Meuse et de la Sambre autour de Namur, à savoir les forts de MALONNE, SAINT-HERIBERT, SUARLEE, EMINES, COGNELEE et MARCHOVELETTE, établis sur la rive gauche de la Meuse et ceux de MAIZERET, ANDOY et DAVE, établis sur la rive droite.

          Les travaux comportaient essentiellement:

- Les déblais et remblais nécessaires pour l’établissement des ouvrages d’art et la                  confection des glacis.

-  La construction d’ouvrages d’art comprenant des locaux voûtés pour logement,     magasins et batteries, des massifs en béton pour protéger les coupoles, des gaines     de communication, des revêtements en décharge et des murs de soutènement.

-   La construction de puits, citernes, égouts, aqueducs, etc…

 

Les contraintes

          L’entreprise des forts de la Meuse posait un certain nombre de problèmes spécifiques:

          Tout d’abord, celui des quantités très importantes de matériaux à mettre en œuvre.

          Ensuite, celui de la dispersion géographique des sites choisis pour l’implantation des forts, sites généralement placés sur des points dominants du terrain et le plus souvent éloignés des voies de communication traditionnelles.

          Mais la condition la plus défavorable était la courte durée imposée pour l’achèvement des deux places fortes. Cette durée n’était que de trente mois, desquels l’entreprise ne pouvait guère disposer que de quinze mois de travail effectif pour l’exécution des maçonneries. En effet, cette dernière opération devait être précédée de terrassements considérables ainsi que de la mise en place des installations nécessaires à l’acheminement  et à la mise en œuvre des matériaux de construction.

 

L’approvisionnement en matériels

          L’importance des travaux à exécuter sur chaque chantier, tant pour les terrassements que pour le coulage du béton et la répartition des chantiers sur des distances considérables imposaient à l’entreprise de réunir un matériel considérable.

          Il s’agissait en effet de construire et d’exploiter pour le service des approvisionnements, 100 kilomètres environ de chemin de fer à voie de 1 mètre, dénommée « Voie stratégique », et d’assurer l’exécution de terrassements s’élevant à près de trois millions de mètres cubes, concurremment avec la fabrication et le coulage d’environ 1.200.000 mètres cubes de béton.

          Le matériel réuni et mis en œuvre sur les chantiers ne comportait pas moins de 60 locomotives, 75 locomobiles ou machines fixes et 2.000 wagons.

 

La Position fortifiée de Namur (PFN)

 

          La Position Fortifiée de Namur comportait neuf ouvrages permanents: quatre grands forts à ANDOY, SAINT-HERIBERT, SUARLEE et COGNELEE et cinq petits forts à MAIZERET, DAVE, MALONNE, EMINES ET MARCHOVELETTE.

          Le périmètre jalonné par les ouvrages avait un développement de 38 kilomètres. Ceci donne pour la PFN un rayon d’une moyenne de 6 kilomètres et un intervalle entre les forts d’environ 4 kilomètres.

 

Les forts de Malonne et de Saint-Héribert

          Les forts de Malonne et de Saint-Héribert, que leur situation entre Sambre et Meuse séparait du reste des ouvrages, ont été pourvus d’installations spéciales. Elles ont consisté en un chemin de fer aérien de 1000 mètres de longueur, élevant les matériaux nécessaires à ces deux forts situés dans la vallée de la Sambre. Ce « chemin de fer » partait de la station de Flawinne sur la ligne de chemin de fer de Charleroi à Namur, à la cote 85 mètres jusqu’au fort de Malonne, à la cote 200 mètres.

          Les sables et galets extraits du lit de la Sambre étaient rangés, après triage, le long de la rivière, sur la rive gauche en aval de l’écluse de Flawinne. Le chemin de fer aérien franchissait la partie canalisée pour atteindre les pentes des bois de la Vecquée, où se trouve le fort.

          Les ciments y étaient montés par le même procédé et provenaient des magasins installés par l’entreprise à la gare de Flawinne. La capacité de transport du chemin de fer aérien atteignait 800 tonnes par jour.

          Ces divers matériaux se déchargeaient sur les voies de la gare de chemin de fer aérien pour le fort de Malonne, ou étaient directement déversés dans des grands wagons s’ils devaient être employés au fort de Saint-Héribert. Une voie ferrée, établie aux frais de l’entreprise et dont la longueur était de 7 kilomètres, reliait les deux chantiers.

 

Le fort de Suarlée

          Pour le fort de Suarlée, l’entreprise a trouvé plus avantageux de profiter du voisinage de la gare de Rhisnes, sur la ligne Namur-Bruxelles, plutôt que de recourir à un prolongement de la route militaire au delà du fort d’Emines. Le raccordement était à voie normale et avait 2000 mètres de longueur. Il amenait au fort, sans transbordement, les ciments qui arrivaient par la voie ferrée normale. Celle-ci transportait également les sables et galets qu’elle prenait par un raccordement aux dépôts établis sur le quai de Namur, en amont du barrage du Luxembourg, et alimentés par des installations de dragage fonctionnant sur la Meuse en aval de la ville.

 

Les forts d’Emines, Cognelée et Marchovelette

          En ce qui concerne ces trois forts, l’approvisionnement en ciments s’effectuait à l’aide d’un raccordement de la « Voie stratégique » avec la ligne Namur-Tirlemont, près de Cognelée. Ce dernier fort possédait des ateliers et des magasins généraux et  servait de centre d’approvisionnement au groupe. Les sables et galets étaient fournis par le dépôt établi à Namur.

 

Les forts de Maizeret, Andoy et Dave

          Ces trois forts de la rive droite ne formaient qu’un seul groupe. L’approvisionnement en sables et galets se faisait à l’aide d’un plan incliné qui venait prendre les matériaux déposés à Samson sur la Meuse, et les amenait au fort de Maizeret. Ils étaient ensuite transportés aux deux autres forts par la « Voie stratégique ». Quant aux ciments, ils arrivaient au dépôt de Naninne situé sur le chemin de fer de Namur à Arlon, auquel était raccordée la « Voie stratégique ». Le fort de Maizeret, qui servait de tête de ligne, était pourvu d’ateliers de réparations.

 

L’alimentation en eau

          L’alimentation en eau était assurée à Malonne par une prise dans la Sambre, avec refoulement en conduite forcée; à Saint-Héribert par un captage et refoulement des eaux souterraines de la vallée qui fait face au fort; à Suarlée et à Emines, par le « puits Sainte Barbe » creusé sur le plateau de Frizet, avec refoulement; à Cognelée, par une nappe d’eau souterraine dont on refoulait une partie pour desservir le fort de Marchovelette; à Andoy et Dave, par une prise d’eau en Meuse via Maizeret.

 

La main d’œuvre

          Hormis les cadres propres à l’entreprise, toute la main d’œuvre banalisée a été recrutée localement.

          Les journaux namurois de l’époque citent les chiffres de 3000 à 5000 ouvriers pour l’ensemble de la Position Fortifiée de Namur, soit de 400 à 500 travailleurs par fort. La grosse majorité des charpentiers, menuisiers, maçons, mécaniciens, terrassiers était belge. Cependant 14% de la main d’œuvre était composée d’étrangers.

          Le salaire journalier oscillait entre 3 et 5 Francs.

          La présence de tous ces étrangers dans les villages aux alentours n’a pas été sans inconvénients pour la population locale (vols, maraudes, bagarres…)

          Le nombre d’accidents s’est élevé à 38, dont 10 tués. Les causes étaient: éboulements, explosions, effondrement de voûtes ou passerelles.

 

L’exécution des terrassements

          Le matériel de fouille se réduisait aux moyens ordinaires: pelles, pioches, pics, barres à mines, burins, pinces, etc…Le matériel de transport se composait de petits plans inclinés avec wagonnets à voie de 40 centimètres, actionnés par des treuils à vapeur. Parfois on fit usage de rampes à voie de 1 mètre, remontéespar des locomotives de 7 à 15 tonnes: ces locomotives remorquaient des rames de wagons cubant en général 2 mètres et chargés à la pelle.

 

Le bétonnage

          Il fallait assurer l’exécution du bétonnage avec un maximum de rapidité compatible avec les capacités de production des bétonnières, les capacités de transport et les possibilités de mise en place, de manière à réaliser une masse monolithique aussi parfaite que possible.       Les maçonneries qui devaient être faites en béton comprenaient: les murs de contrescarpe, les locaux de contrescarpe, les locaux d’escarpe subdivisés en locaux d’escarpe d’aile droite, du centre et d’aile gauche et reliés au massif central, le massif central lui-même avec les coupoles, et finalement les coffres de flanquement reliés au massif central par une galerie de communication passant sous le fossé.

 

Terminologie

- Locaux de contrescarpe: ceux se trouvant à gauche et à droite de l’entrée, celle-ci comprise.

- Locaux d’escarpe: ceux qui se trouvent en face de l’entrée.

- Courtine ou gorge: le fossé dans lequel on débouche après l’entrée.

- Massif central: puissant massif en béton portant les tourelles et coupoles.

- Coffre de tête: ouvrage de flanquement logé au point de rencontre des fossés latéraux, côté ennemi.

- Saillants: les « coins du fort », à la rencontre des fossés.

 

La défense des forts

          La mise en état de défense des forts comportait à l’extérieur des ouvrages englobant  des systèmes de défense accessoires, tels que fils barbelés, ronces, abattis.

          En ce qui concerne les intervalles entre les forts, rien n’était prévu.

          L’organisation de la défense de la PFN comportait une première ligne jalonnée par les forts. Plus tard, on créa une deuxième ligne se trouvant entre celle des forts et la ville de Namur elle-même.

          Entre les deux lignes, on creusa de nombreuses tranchées, destinées à donner de la profondeur au dispositif et qui permettaient de mener des contre-attaques.

        La ville proprement dite était dotée d’une enceinte improvisée. Cette ligne était constituée d’ouvrages de campagne: des tranchées et des barricades érigées aux accès de la ville.

         Aucune ligne téléphonique militaire n’existait dans la PFN. Les casernes, forts et autres installations étaient reliées par des lignes civiles. Certaines lignes de campagne furent installées par des télégraphistes du Génie. Ceci permit de relier différents points d’appui.

 

La vie dans les forts

 

Les forts trapézoïdaux

          Parmi les neuf forts ceinturant Namur, sept auront une forme triangulaire. Seul deux forts auront une forme trapézoïdale. Il s’agit des forts de Malonne et de Maizeret.

          Le motif invoqué par BRIALMONT est le suivant: « Le type de fort triangulaire n’exige pour le flanquement des fossés qu’un double coffre et deux flancs casematés, faciles à soustraire aux batteries éloignées de l’attaque. On adoptera le tracé trapézoïdal ou pentagonal quand le terrain l’exigera ou quand le fort est en saillie si prononcée sur les forts voisins qu’il faudrait, pour soustraire les batteries flanquantes du front de gorge aux feux de l’assiégeant, donner à ce front un tracé qui allongerait outre mesure les fronts latéraux ».

          Le fort de Maizeret est situé sur la rive droite de la Meuse, à 80 mètres au-dessus du fleuve. Il fut appelé le « Fort du Diable » à cause des rochers escarpés qui le rendent inaccessible du côté de la Meuse et du Samson.

 

Organisation spatiale des forts

          L’ensemble d’un fort type comprend quatre zones successives d’affectations et de volumétries très distinctes et qui sont destinées au corps de garde et de service, aux logements, aux fonctions offensives et au flanquement des fossés latéraux.

          On trouve en premier lieu les locaux de contrescarpe. Le cheminement vers l’entrée se fait par une rampe coupée dans le glacis et qui aboutit à un élargissement flanqué de créneaux: le tambour.

          Ensuite on accède à l’intérieur par une poterne d’entrée défendue par un fossé de coupure avec pont-roulant et grille.

          De part et d’autre de cette poterne de contrescarpe sont disposés les locaux du corps de garde et ceux destinés aux services: cuisines, manutention, lavabos, latrines,…etc.

          En temps de paix, de larges fenêtres ouvrent ces logements sur le fossé de gorge. Ce corps de bâtiment est recouvert d’une épaisse couche de terre.

          Les locaux d’escarpe regroupent les logements de guerre de la garnison. Ils sont  accolés et rassemblés à l’escarpe de gorge. Ils ont le même type d’ouverture sur l’extérieur que les services dont-ils sont en vis-à-vis. Tous ces locaux débouchent sur un couloir unique le long du mur de fond. Des parois en briques dans lesquelles sont découpées des fenêtres intérieures ferment les locaux du côté couloir. Les deux grands magasins à poudre situés derrière ce couloir terminent les locaux d’escarpe, eux aussi enterrés.

          Le massif central, non recouvert de terres, est la seule partie qui apparaisse du fort: il doit être surélevé par rapport aux autres fonctions. Il est composé à son étage bas des soutes à charbon et des salles de machines à vapeur, et à son étage haut de la salle de dynamo, du bureau de tir et de la grande salle de rassemblement sur laquelle débouchent les accès aux canons de 12 et 15 cm.

          Une galerie, partant de la grande salle aboutit, après être descendue sous le fossé, au double coffre de flanquement de contrescarpe (à deux étages) enterré qui balaie les deux fossés latéraux.

 

La visibilité

          Les forts de la Meuse n’avaient pas d’emplacements spéciaux pour l’observation: les vues étaient sacrifiées.

          En cas d’attaque, les forts dépendaient pour l’observation rapprochée de guetteurs d’infanterie qui se cachaient derrière la crête de feu et des ouvertures existant dans les coupoles (illusoires!). Pour le tir à grande distance ils dépendaient d’observatoires (clochers…) situés à trois kilomètres de l’ouvrage et reliés à celui-ci par le réseau téléphonique civil et aérien!

          La nuit, un phare électrique sous coupole cuirassée, situé au sommet du massif central était censé éclairer le terrain. Mais, pris sous les rafales de mitrailleuse, il ne pouvait que rarement servir.

          En fait, les forts étaient pratiquement aveugles.

 

Les viabilités

          A la mobilisation, la garnison théorique d’un fort comprenait:

- Le personnel d’artillerie  : 300 personnes

- Le personnel d’infanterie :  83 personnes

- Le personnel de service : médecins, brancardiers, terrassiers…

           Malheureusement, lors de la construction des forts, aucune importance n’avait été attachée aux éléments nécessaires à la vie en garnison. Cette lacune sera, dans de nombreux cas, la cause directe de la reddition du fort.

 

La ventilation et l’assèchement des locaux

           Les forts ne comportaient aucune ventilation artificielle générale. On ne pouvait compter que sur l’aération naturelle par les baies existantes. Cependant, dans certaines coupoles, une ventilation artificielle était entretenue par des ventilateurs à main, créant une surpression d’air afin de chasser les fumées des tirs.

          En ce qui concerne l’assèchement des locaux, les extrados des voûtes étaient recouverts d’un revêtement en feutre asphalté pour empêcher les infiltrations. En outre, des galeries d’assèchement longeaient la paroi extérieure des murs de fond des locaux et conduisaient les eaux recueillies à une galerie de drainage qui les évacuait à l’extérieur de l’ouvrage.

 

Alimentation en eau

          Les forts de la Meuse tiraient leur eau potable de puits, généralement à l’aide de pompes électriques. Ces puits étaient creusés dans le massif central (44 mètres de profondeur à Suarlée!) et leurs eaux servaient à alimenter la citerne également située sous le massif central et destinée à recueillir les eaux superficielles. Du puits et de la citerne partaient les canalisations vers les locaux où l’eau était nécessaire (cuisines, chaudières, etc…)

 

Eclairage et chauffage

          L’éclairage naturel n’existait que dans les locaux donnant sur le fossé de gorge, grâce à de larges fenêtres (cuisines et logements).

          L’éclairage artificiel était électrique et fourni par des dynamos actionnées par des machines à vapeur. Lors des guerres, et sous les bombardements, la cheminée de la chaudière sera rapidement obstruée, entraînant l’arrêt des machines et des dynamos.

          Le chauffage des forts se faisait par poêles dont les cheminées traversaient les voûtes des locaux. Elles seront rapidement mises hors service lors des bombardements.

 

Les cuisines et les sanitaires

          Les magasins à vivres, les cuisines et les boulangeries étaient situées dans les locaux de contrescarpe du front de gorge. Ces locaux seront inaccessibles lors des bombardements.

          Egalement situés dans les locaux de contrescarpe, les latrines et sanitaires deviendront eux aussi rapidement inaccessibles.

          Une fois les forts bouclés, la garnison ne pouvait plus y vivre. En effet, les dispositions y étaient si mal conçues que l’air devait fatalement s’y empoisonner en peu de temps. Et à partir du moment où le tir de l’assiégeant rendait impossible la traversée du fossé de gorge, les hommes étaient séparés des magasins et ils étaient dépourvus de latrines. De sorte qu’ils devaient vivre sans aliments dans une atmosphère excrémentielle.

          Ce fut, en général, la principale cause de la reddition des forts.

 

 

LE FORT DE MAIZERET

 

 

LA PREMIERE GUERRE MONDIALE

 

Mise en état de défense de la Position Fortifiée de Namur (PFN)

          L’Allemagne attaqua la Belgique de manière soudaine, le 4 août 1914. Dès le début des hostilités, les assaillants s’en prirent à la Position Fortifiée de Liége. Ils s’en rendirent maîtres le 16 août 1914, au matin.

          Profitant de ces quelques jours de délai, la PFN compléta son dispositif de défense en organisant divers travaux, relatifs à la ligne principale de défense, à l’organisation d’une seconde ligne ainsi que d’une amorce d’enceinte pour la ville de Namur elle-même. On y ajouta  la préparation de destructions. Ces travaux furent exécutés par les troupes des forts, par des détachements de la 4ème Division d’Armée, par les troupes de forteresse ainsi que par des ouvriers civils réquisitionnés.

          Dès que la mobilisation fut décrétée, des détachements du Génie préparèrent les destructions des ponts de la Meuse et de la Sambre:

   Meuse-aval    : ponts de Huy, Andenne, Sclayn, Jambes.

   Meuse-amont: ponts de Lustin, Annevoie, Rouillon, Yvoir, Houx, Dinant, Anseremme, Hastières.

   Sambre          : tous les ponts compris entre Namur et la frontière française.

La PFN était divisée en quatre secteurs, indiqués sur le plan ci-après.

 

La garnison belge

          La garnison belge comprenait principalement la 4ème Division d’Armée, commandée par le Général MICHEL, également Gouverneur de la PFN.

          Cette division avait comme effectifs 22.000 hommes et 48 canons.

          Hormis cette grande unité, il y avait également des unités de forteresse, de l’artillerie de forteresse, du génie de forteresse, une section d’aérostatique ainsi que des services divers. Ces unités de forteresse comptaient environ 15.000 hommes et 151 pièces d’artillerie.

          Ceci donnait pour les défenseurs de la PFN un total de 37.000 hommes ainsi que 48 pièces d’artillerie de campagne et 151 pièces dans les forts.

 

Les forces allemandes

          Les troupes de siège, commandées par le Général VON GALLWITZ comprenaient cinq divisions d’infanterie, soit environ 100.000 hommes et 400 pièces d’artillerie. Parmi ces dernières, on comptait 80 pièces lourdes, de 30,5 cm et de 42 cm.

          La différence entre les moyens des défenseurs et ceux des attaquants est particulièrement évidente.

          Confiant dans la valeur de son artillerie et mettant à profit l’expérience acquise lors de l’attaque de Liége, le Général VON GALLWITZ se décida, le 20 août, à entamer une attaque brusquée et violente contre les forts Est et Nord-Est de la PFN: il s’agissait des forts de Marchovelette, Maizeret et Andoy.

 

La résistance des forts aux projectiles d’artillerie

          Lors de la construction des forts de la Meuse, les pièces d’artillerie de 30,5 cm ou de 42 cm n’existaient pas. L’apparition de cette artillerie lourde permit de concevoir par les Allemands contre les fortifications permanentes de multiples méthodes d’attaque brusquée.

          Non seulement les projectiles créaient de profonds cratères, endommageant les voûtes des fortifications, malgré les protections de plusieurs mètres de terre, mais provoquaient de nombreuses fissures dans le béton ainsi que beaucoup de poussière, rendant l’air irrespirable et poussant les troupes à abandonner les forts.

          Parmi les unités d’artillerie lourde, on en comptait de nombreuses actionnées par des Autrichiens.

 

Les destructions préparées par les Belges

          Sentant les envahisseurs se rapprocher, les troupes belges abandonnèrent la vallée de la Méhaigne dès le 15 août. Dans le courant de la nuit du 15 au 16 août, on procéda au sautage du pont de Huy, qui ne fut que partiellement détruit. Le passage sera rétabli par les Allemands en très peu de temps.

          Le 19 août, à 8.45 heures, ce fut le tour du pont d’Andenne et la 19 août à 24 heures celui du pont de Sclayn. Egalement le 19 août, il fut procédé au sautage du tunnel de Seilles.

 

Journée du 20 août 1914

          Dès cette date, les différents forts procédaient à la destruction de constructions civiles dont la position aurait pu gêner les tirs. A Maizeret:

«  La guerre ayant été déclarée, un détachement de Chasseurs fut dirigé sur Maizeret dans le but de défendre les intervalles. Des tranchées furent creusées à distance, les terrains contigus aux glacis furent minés et barrés au moyen de fils barbelés. Tous les hommes valides de Maizeret et de Samson furent réquisitionnés pour le travail. Les bois environnants, les haies, les vergers et allées furent coupés à hauteur d’environ un mètre, les branches enchevêtrées de manière à barrer le passage; deux fermes et une maison d’ouvrier qui auraient pu gêner le tir du côté d’Andoy furent incendiées. » (Abbé BAILLY, curé de Maizeret)

          Le personnel de commandement du fort de Maizeret était le suivant:

Capitaine-Commandant PONCELET

Lieutenant STEVELINCK

Sous-lieutenant CHOME

Lieutenant d’Infanterie TOUSSAINT

Médecin FRANCHARD

Médecin-adjoint GERARD

Abbé FEVRY, aumônier

          L’ensemble du fort abritait plus ou moins 400 hommes.

          Le 20 août, les forts de Dave, Cognelée et Marchovelette ouvrent le feu sur les objectifs d’infanterie ennemie qu’on leur signale. Mais ils ne peuvent contrebattre l’artillerie allemande, étant dans l’ignorance complète de ses emplacements.

           Du côté de l’attaque, l’ennemi avait déployé son artillerie et avait commencé à refouler les Belges. La ligne de Marchovelette-village, Ville-en-Waret et Namèche était atteinte.

          On annonça au commandement allemand, mais de façon erronée, que des troupes importantes se concentraient à proximité du fort de Cognelée. Le Général VON GALLWITZ modifia ses dispositions et ordonna à ses troupes de se porter sur Pontillas dès le 20 août et de pousser des détachements avancés jusque Noville-les-Bois et Trou-du-Sart.

          Au soir du 20 août, à 23 heures, les Belges firent sauter le pont de Namèche.

          Entre temps, les Allemands avaient rencontré certaines difficultés du côté d’Andenne et y avaient procédé à des massacres de la population civile.

          Le commandement allemand décida, au soir du 20 août, de lancer une attaque massive contre le secteur Marchovelette-Cognelée, à l’aide de trois divisions.

 

Journée du 21 août 1914

          Le bombardement de la ligne des forts commença le 21 août dans le courant de la matinée. Deux groupements étaient disposés respectivement au Nord et au Sud de la Meuse. L’un devait s’en prendre aux forts de Cognelée et de Marchovelette, et l’autre à ceux de Maizeret et d’Andoy.

          Le bombardement de ces forts débuta à 11 heures. Le résultat de ces tirs fut dès le début foudroyant au fort de Marchovelette. De nombreuses coupoles furent détruites ou endommagées. Une grande partie de la garnison belge s’échappa du fort, mais fut remplacée le 22 août au matin.

          Pendant la nuit, plusieurs attaques dirigées contre les ouvrages situés à l’Est du fort de Marchovelette sont repoussées.

          Les forts d’Emines et de Suarlée canonnent l’ennemi, le 21 août et dans la nuit du 21 au 22.

          L’agglomération de Namur fut bombardée dans le courant de la journée, mais par des pièces de petit calibre.

          Plus particulièrement au fort de Maizeret, l’Abbé BAILLY nous rapporte:

« Nos soldats allaient chaque jour en reconnaissance et revenaient parfois avec des trophées: des chevaux, des lances, des fanions, car l’ennemi rôdait déjà dans les bois des environs. Jeudi 20 août, dans la matinée, revenant de Samson, j’ai aperçu dans le bois, près de la fontaine Saint Martin, trois uhlans que je signalai aux sentinelles. Sur la route militaire du fort, une circulation d’automobiles indescriptible faisait pressentir l’approche d’évènements graves.

Vendredi 21 août, vers 11 heurs, trois cavaliers rapides comme l’éclair se dirigèrent vers le fort; c’était probablement pour signaler les préparatifs du bombardement par l’ennemi, qui avait établi ses batteries sur les hauteurs d’Arville, de Haut-Bois, de Groyne; aussitôt, le premier coup de canon se fit entendre et atteignit l’église. Alors les canons du fort entrèrent en activité. Les habitants de Maizeret et de Samson cherchèrent un abri, soit dans leurs caves, soit dans des cavernes ou des souterrains. Vers le soir, une accalmie se produisit; on se hasarde au dehors pour respirer l’air pur et échanger ses impressions avec les voisins. On constata que les obus allemands avaient déjà fait de nombreux dégâts aux bâtiments du village. »

          A. MALBRECQ, artilleur du fort nous raconte également ses aventures:

« Vendredi 21 août. En une seconde, je fus à l’étage supérieur, la tête au trou d’homme soulevé. Notre commandant se trouvait sur le fort; il observait à l’aide d’une longue-vue fixée sur un trépied et indiquait un but au chef de coupole de 15, l’Adjudant DAINE. On allait rechercher les éléments pour tirer sur un objectif: « Observez! », me cria le commandant, ainsi qu’au chef de coupole du 12 de droite, dont la tête se montrait aussi au-dessus de la cuirasse. Et en même temps, on entendait dans la coupole de 15 le grincement du monte-charges, le choc des projectiles refoulés dans l’âme des pièces et enfin , la fermeture des culasses. Tout est prêt; l’adjudant a baissé le trou d’homme; le commandant s’est écarté. « Pièce…Feu! » crie l’adjudant. Le coup est parti; le vent ayant envoyé dans ma direction la fumée sortant de la bouche du canon, je n’ai pu observer. Immédiatement, l’adjudant est réapparu à son trou d’homme. « C’est très bien! » crie le commandant, qui a pu voir lui-même… « C’est juste… » (au coin du bois, a-t-il voulu dire sans doute). Mais un projectile a sifflé tout à coup au-dessus du fort. « Que tout le monde se tienne à l’intérieur! Dit le commandant, en entrant dans le fort, car je crois que nous allons être bombardés ». C’était bien vrai: l’obus qui venait de déchirer l’air passa outre du fort et alla frapper, je crois, un angle du clocher de l’église de Maizeret, qui fut emporté en partie. A mon avis, ce premier coup de l’ennemi avait été tiré pour le réglage en direction et était juste, sans doute. En effet, deux ou trois minutes après, le temps d’être renseignés par les observateurs et de changer l’orientation et l’inclinaison des bouches à feu, trois projectiles tombèrent au milieu de la contrescarpe du front de gorge, coupant les lignes téléphoniques souterraines et à ciel ouvert, et nous empêchant désormais de recevoir aucune communication de la part de nos postes d’observation ou de l’état-major de place, du colonel, ou d’autres forts ».

          Laissons encore brièvement la parole à l’Abbé FEVRY, aumônier du fort:

« 20 août 1914. La veille ou l’avant-veille, une patrouille avait fait connaissance avec les premiers uhlans, en avait tué un, blessé les deux autres et ramené triomphalement un cheval et une lance. Nul doute, les Allemands étaient à nos portes et, comme le commandant me le faisait observer sur une carte au bureau de tir, la marche des différents corps allemands épinglés sur cette carte montrair clairement leur projet d’investissement de la position.

« Nous allons être attaqués, ajoutait-il, mais nous tiendrons: nous sommes outillés pour trois mois »…On comptait sans les 42...« Le soir approchait et, comme d’habitude, nous allâmes sur le parapet du fort pour jouir du spectacle édifiant du ciel étoilé et  taper entre soldats une de ces causettes réconfortantes et pleine d’illusions. Mais quoi? Le ciel n’était plus celui des autres jours: des nuages de fumée y montaient, gris-noirs, et tout l’horizon Nord-est, Seilles, Andenne, était en feu. Quel spectacle lugubre! La rage montait au cœur de la petite garnison. On brûlait du désir de venger les concitoyens sans défense. Nous allons dans ces sentiments prendre notre repos et réparer les forces dont nous aurons besoin demain peut-être. Fort du Diable, lui, veille; il paraît inquiet. Avec ses phares, il plonge ses grands yeux scrutateurs sur les bois environnants, il fouille et refouille les campagnes.

Le Fort-du-Diable tire par intervalles; il semble rassurer Marchovelette, quand soudain un sifflement, puis un éclat à 100 mètres environ du fort. C’était vers 11 heures. Une demi-minute après, éclata un second obus, à 50 mètres du fort, puis le troisième en plein dessus. Suivit alors un bombardement intense: 1500 coups de tous calibres jusqu’à sept -huit heures du soir. Il y eut deux blessés seulement. Toutes les vitres avaient, dès le premier coup, volé en éclats; les traverses de fer mêmes étaient arrachées par des éclats d’obus rebondissant de la contrescarpe qui se démolissait devant nous… De 11 heures du matin jusqu’au soir, la mitraille ennemie était tellement fréquente que Fort-du-Diable n’osait même pas tourner ses pièces contre l’ennemi, de peur de les voir emporter.

Fort-du-Diable brûlait du désir de se mesurer et, malgré la lourdeur de tête de la petite garnison, elle bondit comme un seul homme, vers huit-neuf heures du soir, lorsque le bombardement ennemi ralentit et fit croire à un assaut. Hélas! Désillusion! L’ennemi ne vint pas. Il continua à bombarder, mais d’une façon moins intense; d’où Fort-du-Diable riposta. Vers 11 heures du soir, il pointa vers une batterie près d’Arville, qu’il démolit, dit-on…

 

Journée du 22 août

          Le bombardement commencé la veille continue de marteler les forts et les intervalles du secteur d’attaque.

          Dans le courant de la journée, les Allemands, efficacement soutenus par leur artillerie de campagne, lancent plusieurs assauts infructueux contre le fort de Marchovelette et contre les ouvrages situés à l’Ouest du fort.

          Pour le fort de Maizeret, nous ferons de nouveau appel aux souvenirs de l’aumônier du fort:

« Situation identique, le lendemain 22 août au réveil, mais avec un peu d’accalmie. Un pli était apporté de Namur, demandant de tenir quelque temps encore, car les Français allaient arriver. Un hourrah formidable retentit: on était sauvé! On allait arborer le drapeau aux trois couleurs!

Le lieutenant alla inspecter les fossés: dégâts de peu d’importance: poules et oies tuées. En les portant triomphalement, le lieutenant s’écriait: voilà qui a coûté deux millions aux Allemands! Mais les Français n’étaient pas là! Le bombardement reprit plus intense; il arrivait des obus de plus gros calibre. Fort-du-Diable tressautait ».

          De même, l’artilleur MALBRECQ, qui devait échapper à la captivité et qui, avant de rejoindre le front belge où il tomba au champ d’honneur, rédigea son récit dans la clandestinité:

« Le 22 août. Le jour arriva et l’Allemand ne vint pas. Ne le verrons-nous donc jamais? Le calme continuant à régner, certains descendent dans l’escarpe, voire même dans le fossé du front de gorge. Soudain un officier de l’état-major apparaît et demande le commandant. En un instant, tout le monde le sait.

Pistolet en main, le commandant descend. Le lieutenant le suit et toute la garnison inquiète, se presse dans l’escalier. Bientôt, on sut de quoi il s’agissait: le général avait envoyé des félicitations au commandant et à la garnison du fort de Maizeret: l’ennemi reculait; les renforts français et anglais arrivaient! On se précipite derrière le lieutenant, on sort sur le fort, et dix, quinze artilleurs s’efforcent d’arborer nos trois couleurs, comme ils peuvent, car sa place habituelle a été touchée par le tir.

Tous se promènent, on ne se soucie plus du danger. N’est-il pas définitivement écarté? Et comme sortant d’une souricière, tous les artilleurs dévalent dans le fossé, pour respirer.

J’observe les dégâts: pour être tout à fait efficace, le tir de l’ennemi aurait dû être plus court de 50 mètres environ; cette distance en moins dans la portée, le bombardement du vendredi 21 août aurait peut-être suffi pour la destruction complète de notre ouvrage.

Bientôt des détonations retentissent, puis une salve, mais toujours dans le fossé du front de gorge. Et alors, ce fut de nouveau le calme. Mais cet arrêt ne fut pas de longue durée. Il n’était pas motivé par une retraite des Allemands, mais je crois, par le changement dans les éléments de tir. Notre drapeau n’était-il pas un point de repère que nous avions donné aux Allemands, qui pouvaient voir si leurs obus tombaient en deçà, au-delà, à droite ou à gauche? En leur plantant le symbole de la victoire, alors qu’ils attendaient sans doute l’étendard du vaincu, ne leur avions-nous pas donné la preuve évidente que le tir de la veille n’avait pas été très efficace? Pour moi, je le crois, car le bombardement recommença avec le même acharnement, avec plus d’acharnement même, les obus tombant tous maintenant sur le massif central, refuge de la garnison. Il aurait fallu retirer le drapeau, mais c’était chose impossible et peut-être inutile.

Dans la matinée, le 12 de droite tira encore quelques coups dans les mêmes conditions. De nouveau, toutes les demi-heures, les lumières s’éteignaient; le front de tête se lézardait et tombait; les servants étaient revenus sur le massif central. De larges fissures se faisaient partout; le fort ne cessait de trembler. Le personnel était calme cependant; il attendait la fin de l’orage; il espérait toujours un temps meilleur et cherchait pour se réfugier les endroits où la voûte en béton était la plus épaisse. 

A 14 heures, aidés par des renforts français, les Belges déclenchent une contre-attaque dans le but de dégager la partie Sud du fort de Marchovelette, et d’atteindre, si possible, l’artillerie ennemie. Cette attaque sera décimée par l’artillerie lourde et les mitrailleuses allemande. Le bombardement allemand se poursuivit durant toute la nuit.

Le 22 août au soir, la situation est critique: l’intervalle Cognelée-Marchovelette tout entier est abandonné par la défense, tandis que le fort de Maizeret, complètement détruit est évacué. Toutes les coupoles étant détruites, le Commandant PONCELET Donna l’ordre d’évacuer le fort. Les hommes s’enfuirent en rampant, plusieurs étaient Blessés, d’autres horriblement brûlés.

La garnison de Maizeret, artillerie et infanterie, rallia le gros des troupes à Loyers.

C’est le 23, vers 13 heures que les Allemands feront leur entrée au fort. N’entendant plus tirer, ils crurent sans doute à une ruse belge. De Samson, on vit un émissaire monter prudemment par les rochers escarpés pour s’assurer si la fort était encore défendu. Ayant constaté qu’il était vide, il y planta le drapeau allemand et l’écho retentit aussitôt des hurrah formidables que poussèrent les milliers de soldats placés sur les hauteurs environnantes. Comme un torrent impétueux, cette armée dévala vers le fort conquis si facilement."

 

Journée du 23 août

          A l’aube du 23 août, tandis que l’artillerie de siège allemande poursuit l’écrasement des forts qui agonisent et ne répondent plus que faiblement, l’artillerie de campagne accentue la violence du bombardement des intervalles.

          A 9.30 heures, l’intervalle Cognelée-Marchovelette est franchi, mais l’ennemi se butte à une ligne de défense établie à Champion et à Boninne.

          A 10 heures, les assaillants reçoivent l’ordre d’attaque générale. La violence de l’assaut sera telle que la défense doit céder. Cependant, des éléments français et belges accrochés à Bouge tentent en vain d’arrêter l’ennemi. Ils sont refoulés, et dans l’après-midi, les troupes allemandes pénètrent dans Namur.

          Dès lors, la situation devient désespérée. La plupart des troupes se replient sur ordre à leur tour. Le fort de Cognelée s’est rendu à 12.30 heures.

          Au fort de Marchovelette, les deux tiers de la garnison ont été tués, affreusement brûlés ou blessés par suite de l’explosion du dépôt de cartouches situé dans la partie centrale. L’ennemi occupa les ruines du fort, à 14 heures, immédiatement après l’explosion.

 

La retraite de la 4ème Division d’Armée

          La 4ème Division d’Armée se trouvait dans une situation intenable. En effet, l’ennemi s’était avancé en nombre au Nord de la Meuse et certains passages avaient déjà été forcés sur la Sambre entre Charleroi et Namur, de même que ceux de la Meuse vers Dinant. La retraite de la Division se trouvait coupée dans toutes les directions autres que celles de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

          Les troupes furent dirigées vers Bioul. La retraite fut rendue particulièrement pénible par suite de l’encombrement des routes par le charroi et par l’étroitesse du  couloir par où devait s’effectuer le repli.

          L’étau allemand se referma sur une partie des troupes, mais le gros s’échappa et atteignit Mariembourg le 24 au soir et la frontière française dès le 25. De là, elles furent transportées en chemin de fer à Rouen et embarquées au Havre pour être ramenées à Ostende et Zeebrugge.

 

La reddition des forts de la PFN

          Comme déjà signalé ci-avant, le fort de Cognelée s’est rendu le 23 août à 12.30 heures.

          Le fort de Maizeret, abandonné le 22 août, fut occupé par les Allemands le 23 août vers 14 heures.

          Il en sera exactement de même du fort de Marchovelette.

          Le fort de Malonne se rendit le 24 août à 8 heures, sans avoir subi de bombardement, à une patrouille de 4 hommes, commandée par un lieutenant.

          Quasi complètement détruit, le fort d’Andoy se rendit le 24 août à 11 heures.

          La même situation se produisit au fort d’Emines, qui se rendit le 24 août à 16.30 heures.

          Attaqué de tous côtés, le fort de Saint-Héribert se rendit le 24 août à 20 heures.

          La situation fut identique au fort de Dave, qui cessa ses activités le 25 août à 15 heures.

          Le dernier fort à se rendre fut celui de Suarlée, bombardé intensément, et qui cessa le combat le 25 août à 17 heures.

 

Les enseignements à tirer du siège de Namur

          A Namur, le temps dont on disposa avant l’attaque permit d’organiser les intervalles plus solidement qu’à Liége. De plus, la défense avait été organisée rationnellement en secteurs.

          Malgré cela, l’ennemi put pénétrer rapidement dans la place; il faut en rechercher les causes dans la puissance de l’attaque et l’extension rapide du succès par suite du manque de profondeur des organisations et de la pénurie de réserves.

          Toutefois, si Namur n’arrêta pas la marche de l’ennemi, elle la retarda fortement et maintint devant elle pendant toute la bataille à la frontière française, 100.000 hommes et 400 bouches à feu.

 

Appréciations

          Les Allemands, au prix de lourdes pertes étaient parvenus à s’emparer de la Position Fortifiée de Namur. Mais la résistance de celle-ci à l’envahisseur n’avait pas été vaine. La PFN joua en effet, un rôle de tout premier plan dans la bataille des frontières.

          La PFN reçut, après la guerre, de nombreux hommages et fut citée à l’ordre du jour de l’Armée belge et française. Chaque fort reçut individuellement une citation.

          Dans son discours du 14 octobre 1923, SM le Roi ALBERT rappelait le rôle de Namur:

«  Ainsi, pendant plus de quatre jours décisifs, Namur a immobilisé au grand profit des armées alliées des forces ennemies écrasantes et n’a succombé sous leurs efforts qu’après que la bataille générale était terminée. Honneur en soit rendu à la direction éclairée de son Gouverneur et à la vaillance de sa garnison ».

          Le Ministre français de la Guerre, le 29 mai 1927:

«  La résistance de Namur constitue historiquement un élément essentiel de suprême sacrifice consenti par la Nation belge à la cause de la justice et du droit. Si les écrasants moyens de l’attaque l’ont rendue brève, les quelques jours dont elle a retardé la marche foudroyante de l’ennemi se sont placés à un instant décisif. Ils ont aidé la Cinquième Armée à se dégager d’une formidable étreinte et contribué ainsi à rendre possible le redressement de la Marne ».

          Citation à l’ordre du jour de l’Armée française, un peu plus tard:

«  La ville de Namur: Place forte attaquée le 21 août 1914, violemment bombardée par un ennemi très supérieur en nombre, et dont la garnison ne s’est retirée qu’après avoir rempli, pendant quatre jours, sa mission d’arrêt. Prise d’assaut, incendiée en partie, a supporté avec calme et dignité, malgré ses deuils, une occupation de plus de quatre années, sans cesser d’avoir foi dans sa victoire finale. »

          Le fort de Maizeret fut cité à l’Ordre du Jour de l’Armée belge, le 20 avril 1921:

« A opposé pendant les journées du 21 et 22 août 1914, une résistance énergique aux attaques ennemies; soumise à un bombardement très intense auquel prirent part le deuxième jour les pièces de 305 et 420, la garnison sous les ordres du Capitaine-commandant PONCELET, fit preuve de vaillance et de stoïcisme et n’abandonna l’ouvrage que lorsque tous les organes de défense furent ruinés ».

 

L’ENTRE-DEUX-GUERRES

 

Le nouveau système fortificatif

          En 1930 fut instituée une « Commission des Fortifications » qui décida d’adopter pour la défense de notre territoire le principe des régions fortifiées. La Commission estima d’abord que le système défensif devait être porté aussi près de la frontière que possible, afin de soustraire la plus grande partie du pays aux dévastations de l’ennemi, et d’éviter la perte d’une partie importante de nos ressources.

          Ces considérations ont conduit à l’organisation:

- De la défense permanente de la frontière de l’Est, y compris la Position Fortifiée de Liége.

- De la Position Fortifiée de Namur.

- De la Position Fortifiée d’Anvers

- D’un « réduit national », qui couvre Anvers ainsi que les ports d’Ostende et de Zeebrugge.

- De la tête de pont de Gand.

- De la préparation d’organisations semi-permanentes entre Namur et Anvers.

- Subsidiairement, à la préparation d’inondations et de destructions.

 

Le rôle de la Position Fortifiée de Namur (PFN)

  1°) Couvrir la mobilisation et la concentration de l’armée de campagne, en arrêtant les irruptions ennemies lointaines ayant pour objectif les nœuds routiers et ferroviaires importants de Namur.

  2°) Former tête de pont offensive, permettant à l’armée de déboucher et de manœuvrer en toute sécurité au Sud de la ligne Meuse-Sambre.

  3°) Former tête de pont de retraite, en cas d’échec éventuel subi au Sud de cette ligne.

  4°) Constituer pivot de manœuvre, comme appui d’aile droite de la position Meuse-aval, ou d’aile gauche de l’une des positions Meuse-amont ou Sambre; enfin, comme appui d’aile droite de la position Namur-Anvers.

          Etant donné l’éloignement de la PFN par rapport à la frontière, et son importance relativement moindre que celle de Liége au point de vue stratégique, les organisations permanentes auront été poussées moins loin qu’à Liége.

          Ces organisations permanentes comportent:

- Sept forts réarmés de l’ancienne place de Namur.

- Des abris d’intervalle.

- Des abris contre l’irruption.

- Un réseau téléphonique enterré.

 

Les forts réarmés

- Sur la rive droite de la Meuse: les forts de Maizeret, Andoy et Dave.

- Dans l’Entre-Sambre-et-Meuse: les forts de Saint-Héribert et de Malonne.

- Sur la rive gauche de la Meuse: les forts de Marchovelette et de Suarlée.

          On constate que par rapport à la situation avant 1914, deux forts ont été abandonnés: Emines et Cognelée.

          Les forts réarmés sont renforcés et modernisés suivant les mêmes principes que ceux admis pour les forts de l’ancienne place de Liége. Toutefois, les galeries d’amenée d’air frais sont en général plus longues à Namur qu’à Liége (700 mètres à Dave, 1200 mètres à Andoy).

          Maizeret a pour mission particulière d’interdire la vallée de la Meuse en aval, et d’agir par ses feux dans la vallée du Samson, ainsi qu’en avant de la position Meuse-aval et de la première ligne de la position Namur-Anvers.

          Andoy interdit la route de Marche à Namur.

          Dave interdit le chemin de fer de Namur à Luxembourg, et agit dans la vallée de la Meuse-amont par ses feux d’obusier.

          Saint-Héribert constitue un point d’appui pour l’aile de la position Meuse-amont.

          Malonne a une action de flanquement dans la vallée de la Sambre.

          Suarlée est un point d’appui pour l’aile de la position de la Sambre et a également une mission de flanquement de la deuxième ligne de la position Namur-Anvers.

          Marchovelette est un point d’appui de la position Meuse-aval et de la première ligne de la position Namur-Anvers.

          Chacun de ces forts est armé:

- d’une coupole de deux canons de calibre 7,5 cm ( de 10,5 cm à Maizeret)

- de trois ou quatre coupoles d’obusiers de 7,5 cm

- de deux coupoles armées soit de mitrailleuses, soit de lance-grenades.

Tous les fossés sont flanqués par des mitrailleuses.

          Les travaux de renforcement de ces forts ont coûté 42.500.000 francs pour ce qui concerne les travaux du génie.

 

La ligne d’abris des intervalles

          Cette ligne s’appuie d’une part à la Meuse-aval, à hauteur de Maizeret, et, d’autre part à la Sambre, à hauteur de Malonne.

          Son tracé est jalonné par la ligne des forts, sauf dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, où elle passe à 1,3 kilomètres en arrière du fort de Saint-Héribert. Les inconvénients liés à la situation avancée de ce fort étaient reconnus depuis longtemps. Si la position d’infanterie avait dû suivre le tracé entre les forts de Dave, Saint-Héribert et Malonne, elle aurait été prise en enfilade à partir des hauteurs situées en avant de la position.

          Le tracé de l’Entre-Sambre-et-Meuse s’établit donc comme suit: fort de Dave, Couvent de la Marlagne, fort de Malonne.

          Les abris d’intervalle, tous destinés à accueillir des mitrailleuses, sont répartis comme suit:

Intervalle Maizeret-Andoy: en premier échelon, on trouve dix abris, dont deux avec cloche pour guetteur et fusil-mitrailleur et un avec cloche pour guetteur. En doublement du premier échelon on trouve encore deux abris supplémentaires et en deuxième échelon trois abris.

Intervalle Andoy-Dave: En premier échelon, neuf abris dont deux avec cloche pour guetteur et un avec cloche pour guetteur et fusil-mitrailleur. En doublement du premier échelon, un abri et en deuxième échelon, trois abris.

Intervalle Dave Entre-Sambre-et-Meuse: en échelon avancé, six abris et en premier échelon dix-sept abris, dont trois avec cloche pour guetteur et fusil-mitrailleur.

          Soit au total 52 abris pour mitrailleuse, dont 19 à deux embrasures, qui ont coûté au total 5.700.000 francs.

          Certains de ces abris sont toujours visibles aujourd’hui.

 

Abris contre l’irruption

          Il en existait sept. Cinq de ces abris possédaient une cloche pour guetteur.

          Le premier interdit la route de Liége à Namur, sur la rive droite de la Meuse, ainsi que le débouché de la vallée du Samson.

          Les deuxième et troisième, placés de part et d’autre de la route de Marche à Namur, interdisent cette route.

          Le quatrième, à hauteur du fort de Dave, interdit la route d’Yvoir à Namur par la rive droite de la Meuse.

          Le cinquième interdit, à même hauteur, la route de Dinant à Namur par la rive gauche.

          A proximité des forts de Maizeret et de Dave, il existe en outre deux casemates pour canons de 60, reliés téléphoniquement à ces forts par câble souterrain. Ces deux casemates ont des vues directes sur la vallée, ainsi qu’une action étendue, l’une en aval vers Sclaigneaux et l’autre en amont, vers Profondeville.

          Ces sept abris ont coûté 1.250.000 francs.

 

Le réseau téléphonique enterré

          Ce réseau possède un développement de 65 kilomètres; trois centraux téléphoniques Bétonnés et quarante-neuf chambres de visite ont également été construits. Ce réseau a coûté 5.000.000 francs.

 

 

LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE

 

Le 10 mai 1940 à Namur

          Le  10 mai 1940, 80 divisions allemandes envahissent la Belgique. A 1.15 heures du matin, l’état-major du Régiment de Forteresse de Namur alerte les forts de la place: « Alerte générale ». Tous les organes des forts sont occupés et les militaires en congé sont rappelés.

          Dès le 5 mai, la Wehrmacht possédait les cartes d’état-major belges. Le journal Vers l’Avenir du 2 mai 1948 rappelle l’évènement: « Le 10 mai 1940 à l’aube, les officiers des divisions allemandes lancées vers Namur étaient en possession de cartes au 40.000ème de l’Institut Cartographique Militaire belge, édition 1932, portant en surimpression verte les corrections topographiques de la Luftwaffe, et en surimpression rouge la situation détaillée de tous les travaux et organisations militaires existant.

          Ainsi, la guerre secrète avait déjà débuté depuis longtemps. Un simple fait l’illustre bien: « Près des forts de Dave et d’Andoy, les hommes avaient remarqué l’existence d’une maison, non loin du fort. Ils y avaient surpris une conversation en langue allemande. Je me suis rendu à l’Etat-major à Namur, où on m’a pris pour un fou; je suis alors allé au bureau de contre-espionnage de Namur, je leur ai confié mes soupçons et ils m’ont ri au nez… » Tel est le récit que fit le Lieutenant FISETTE, commandant en second du fort de Saint-Héribert au commandant du fort.

          Ce court récit, choisi parmi d’autres, prouve une certaine inconscience de la part des services secrets de l’Armée belge.

          Et le commandant du fort de Saint-Héribert de poursuivre: « Le jour du premier bombardement, nous avons repéré une fusée rouge dans le ciel. En consultant la carte, nous nous sommes aperçus qu’elle provenait de la maison qui avait tant intrigué le Lieutenant FISETTE. Peu après, une fusée s’éleva des autres maisons suspectes; aussitôt, le bombardement des forts commençait… »

 

Les forces des assiégeants

          Pour les forces allemandes, nous distinguerons celles qui ont pris part à l’attaque des forts du Sud (Maizeret, Andoy, Dave, ainsi que Saint-Héribert et Malonne de l’autre côté de la Meuse) et des forts du Nord (Suarlée, Marchovelette).

          Le Groupe d’Armées A, commandé par VON RUNDSTEDT est chargé de la percée au Sud de Namur. Son aile Nord est formée de la 4ème Armée, comprenant 11 divisions, dont la 5ème Division blindée, la 7ème Division blindée (ROMMEL) et la 211ème Division d’Infanterie (12.000 hommes), qui sera chargée de mettre le siège devant les forts du Sud.

          Dave, Andoy et Maizeret sont assiégés sous la direction de KRIEGER. Les effectifs se composent d’un Régiment d’Infanterie, d’une section de chars, de pionniers et d’un groupe d’artillerie lourde.

          Saint-Héribert et Malonne seront attaqués sous la direction de KOHNERT. Les effectifs sont identiques à ceux-ci-dessus.

          Le front Nord de Namur sera attaqué par le Groupe d’Armées B de VON BOCK. Il comprend la 18ème Armée (VON KUCHLER), la 6ème Armée (VON REICHENAU), avec les 3ème et 4ème Divisions blindées. C’est à une partie de ces troupes qu’incombera la mission de s’emparer des forts du Nord.

 

Les forces belges

          La défense de Namur est confiée au VIIème Corps d’Armée (25.000 hommes), composé de 2.000 hommes de troupes de forteresse (300 par fort), de la 2ème Division de Chasseurs Ardennais (12.000 hommes) entre Huy et Andenne, de la 8ème Division d’Infanterie (12.000 hommes) entre Andenne et Namèche ainsi que de Maizeret à Dave.

          A cela s’ajoute la 9ème Armée française, qui défend la Meuse en amont de Namur.

          De plus, le 13 mai au soir, la 5ème Division d’Infanterie Nord Africaine de l’Armée française prend position dans l’enceinte fortifiée et participe à sa défense.

 

Le début des hostilités

          Le 15 mai, suite à la percée allemande au Sud, à Dinant et à Sedan, devant la menace d’encerclement et à la demande du commandement français, le VIIème Corps d’Armée quitte Namur de jour, et se dirige vers l’Ouest.

          Les forts sont isolés. La défense de la Position Fortifiée de Namur est confiée à sept forts et à 2.000 hommes environ!

          Dominés par le nombre d’assaillants, les Belges furent également écrasés par l’armement supérieur et très efficace des Allemands. En effet, dès le 14 mai, certains forts eurent à essuyer des bombardements aériens par Stukas, subissant des dégâts importants et parfois même des pertes en vies humaines.

          Selon les témoignages recueillis, les sirènes des Stukas et le sifflement des bombes qui tombaient vers le sol avaient un effet néfaste sur le moral et surtout sur les nerfs des hommes de garnison.

          A propos de l’artillerie allemande, il faut signaler que les canons d’assaut étaient constitués des fameux 88, les meilleurs de toute la guerre. C’étaient surtout les coupoles qui étaient visées en tir direct.

          L’armement belge se composait essentiellement de l’artillerie de forteresse; soit, dans chaque fort, une coupole à deux canons de 75, quatre coupoles avec des obusiers de 75, une coupole à deux mitrailleuses et une coupole à deux lance-grenades. A quoi il faut ajouter les fusils et les révolvers pour la défense personnelle.

          La plupart des forts étaient dépourvus de toute défense anti-aérienne.

 

Le personnel officier du fort de Maizeret

Capitaine-commandant HAMBENNE

Lieutenant MIGEOTTE

Lieutenant MICHIELS

Lieutenant JACOB

Sous-lieutenant LECOMTE

Sous-lieutenant WASCOTTE

Médecin LEROY

Médecin GODART

Aumônier, Abbé BUSTEAU

 

Les combats au fort de Maizeret

          Le 10 mai 1940, le fort est alerté à 1.14 heures. La garnison occupe les emplacements prévus. Le fort est prêt à 2.10 heures.

          Durant la journée du 14 mai, l’artillerie du fort est très active. Elle exécuté de nombreux tirs de contre-batterie et des tirs contre chars.

          Le 15 mai, l’ouvrage est isolé. La sûreté rapprochée se met en place.. Le fort tire au profit de son voisin de Marchovelette.

          Les 16 et 17 mai seront considérées comme des journées calmes

          Le 18 mai, une patrouille est envoyée vers Bonneville et un sous-officier en mission à Namur. Le commandant du fort repousse une intervention d’un civil, tendant soit à amener la reddition de l’ouvrage, soit à réduire ses tirs. Nouveau tir de contre-batterie au profit de Marchovelette. Intervention de deux abris extérieurs sur du charroi allemand. Des patrouilles sont envoyées dans toutes les directions.

          Le 19 mai, le fort exécute des tirs sur des voitures ennemies et sur des voies de chemin de fer. Sa garnison capture deux soldats allemands blessés. Un des abris extérieurs est évacué sur ordre.

          Le 20 mai, des missions sont exécutées à l’extérieur du fort: démolition d’un pont, démolition de la voie de chemin de fer et incendie des baraquements militaires de Maizeret. Des tirs sont effectués dans le secteur d’Andoy.

          Le 21 mai, action conjuguée d’un abri de saillant ainsi que des coupoles d’obusiers contre une colonne ennemie à Samson. Ces tirs semblent avoir eu de bons résultats. Un officier et deux soldats allemands, prisonniers sont amenés au fort. Après interrogatoire, le commandant du fort décide de renvoyer ces prisonniers dans leurs lignes.

          Le 22 mai, un abri extérieur est attaqué au début de la matinée. Le fort le soutient par ses tirs. Deux postes de sûreté rapprochée sont pris par l’ennemi, et quatre soldats disparaissent. Des patrouilles sont envoyées dans les alentours de l’ouvrage. Cernée, l’une d’elles parvient à rejoindre un abri. Vers 22 heures se déclenche une tentative d’attaque ennemie.

1939 - Equipe de l'abri du saillant II 

 

La fin des combats

          Le 23 mai 1940, à 8.30 heures, le brouillard se lève sur le fort de Maizeret. Le bombardement de l’ouvrage avait commencé à 7.45 heures. A 9.30 heures, les feux du fort lui-même devinrent de plus en plus faibles. En effet, les tirs des canons de 88 allemands était incroyablement précis.

          Un groupe d’assaut ennemi s’élança à l’assaut du fort, dont une partie par le fossé de gorge. Les bouches d’aérage et les ventilateurs étaient détruits avec des bouteilles d’essence et des grenades à main.

          Un canon antichar fut amené à bras d’hommes à travers le réseau de barbelés jusqu’à quelques mètres de l’entrée du fort et démolit la poterne d’entrée, malgré les feux des mitrailleuses  belges qui jaillissaient encore toujours de quelques embrasures.

          Le 23 mai, à 14.45 heures, le fort de Maizeret hissa le drapeau blanc; suivant les déclarations du commandant, le fort fut fortement entravé dans sa défense par la chute de la coupole principale d’observation.

 

Appréciations

          Après la Libération, tous les forts, à l’exception de Suarlée furent cités à l’ordre du jour de l’Armée pour la vaillance de leurs garnisons.

          Pour Maizeret, ce sera:

« Sous la conduite décidée de son commandant, le Capitaine-commandant HAMBENNE, a opposé à l’ennemi une résistance opiniâtre, ne succombant qu’après la mise hors cause de son artillerie, après avoir subi un siège de neuf jours, au cours duquel la garnison du fort et des abris extérieurs fit preuve des plus belles qualités militaires ». 

         Le Commandant HAMBENNE était le commandant d’ouvrage le plus ancien de la PFN. Il connaissait son ouvrage dans tous les détails.

          Le personnel, officiers et troupes, était bien tenu en mains. Certains changements seront opérés dans la constitution d’équipes, dans le but de mettre chacun à sa place.

          Le commandant remédiera efficacement et immédiatement aux faiblesses qu’il avait constaté dans l’organisation de la défense, par la création de postes supplémentaires et de renforcements intérieurs.

          Il mettra tout en œuvre pour obtenir le plus de renseignements possibles sur l’ennemi. Sa liaison avec l’élément civil restera constante.

          L’activité des patrouilles fut remarquable. Des rondes d’officiers furent envoyées dans tous les abris, qui ont parfaitement rempli leur rôle.

          La coordination des moyens fut parfaitement réalisée.

          La défense fut menée avec calme et décision. Aucune faiblesse ne fut à relever dans le comportement de la garnison. La discipline était rigoureuse.

          Le fort ne se rendra que lorsque ses moyens de défense auront été neutralisés.

Hélène et Mathilde Godfroid devant l'entrée du fort avant la guerre